C’est important et
c’est d’intérêt public, mais ce n’est pas nouveau. Et oui, je vous propose une
vieille nouvelle, celle qui dure et qu’on endure depuis maintenant 46
ans : le développement des sables bitumineux d’Alberta. Que dire
davantage ?
Le 26 janvier dernier
j’ai eu le privilège d’entendre le témoignage d’une de ces femmes Cries qui vit
l’exploitation des sables bitumineux au quotidien. Récipiendaire en 2013 du
Grassroots Human Rights Award (décerné par l’organisation internationale des droits
humains Global Exchange), Crystal Lameman venait à la Maison du développement
durable nous partager la réalité de la Première Nation de Beaver Lake en
Alberta. Mais, loin de se vouloir porte-parole de toutes les communautés
autochtones, elle participait à cette tournée de sensibilisation à titre
personnel : « Je suis d’abord une mère, nous dit-elle, les droits de mes
enfants sont violés, et je ne voulais pas être de ces mères à qui ses enfants
lui disent : Maman, pourquoi tu n’as rien fait ? »
Ce n’est pas la
première fois dans l’histoire canadienne que le gouvernement utilise la
tactique d’ignorance délibérée des Premières Nations. Uranium, un film de Magnus Isacsson (1990) nous rappelle trop bien
comment la leçon d’histoire n’a pas été apprise. Le documentaire nous indique
que le gouvernement provincial (Ontario) s’affairait à fournir de l’eau potable
aux communautés caucasiennes vivant près de 12 mines d’uranium, alors que la
Première Nation de Serpent River n’était pas desservie puisqu’il s’agit d’une
« compétence fédérale ». Ceci
dit, le gouvernement fédéral n’était pas proactif dans toute l’histoire, en 10
ans il ne restait plus de poissons vivants dans le bassin versant, et ce ne
sont pas seulement les amérindiens qui écopent. À l’époque, le discours du
gouvernement et des compagnies minières était que nous avions besoin de
l’uranium et du radium pour les activités de la deuxième guerre mondiale et de
la guerre froide. Il est bon de savoir qu’en contrepartie, les miniers ont
écopés par des taux de cancer du poumon allant de 2 à 4 fois plus élevés que la
moyenne de la population. Eux n’avaient pas besoin d’uranium pour vivre. Le
« gros bon sens », comme dit ma mère, n’est pas donné à tout le
monde.
La superficie de
l’exploitation des sables bitumineux atteint aujourd’hui 840 000 km2 de ce qui était autrefois une forêt boréale. Ironiquement, la forêt
boréale est reconnue par les scientifiques experts en la matière comme étant le
plus vaste puit de carbone terrestre de la planète. Pour plusieurs d’entre nous,
la forêt boréale est un magnifique endroit pour faire de la raquette ou du ski
de fond, mais pour 327 espèces d’oiseaux, les caribous, les loups, les orignaux
et les Premières Nations, il s’agit d’un mode de vie et de subsistance.
Il serait hasardeux
ici de tenter de définir la formule discursive contemporaine pour justifier une
émission de gaz à effet de serre 3 à 4 fois plus élevée que le pétrole
conventionnel. Je me contenterai donc de la nommer « économie », mot
d’un paradigme singulier, tout comme le mot « besoin » d’ailleurs.
Selon Maclean’s, le lobby le plus actif auprès
du Bureau du Premier Ministre en 2013 fut celui de l’Association minière du Canada.
Juste derrière, TransCanada
Corporation qui propose de transporter le pétrole de l’Alberta vers l’Est
(le projet Keystone XL dont Obama
vient de repousser la décision de 90 jours étant données les répercussions
climatiques). Nous parlons donc de pétrole pour le Québec, mais aussi pour
l’exportation aux États-Unis et ailleurs dans le monde. Aucune réduction à la
pompe prévue pour les contribuables. Toute cette extraction se fera de manière
transparente et dans le respect mutuel selon Stephen Harper.
En 1877, le traité
no. 7 fut signé entre le gouvernement du Canada et les Premières Nations du
Nord-Ouest afin de permettre la construction du chemin de fer transcontinental
via le territoire de chasse amérindien prévu par les dispositions de la
Proclamation royale de 1763. Depuis, plus de 20 000 permis ont été délivrés à
des compagnies minières et pétrolières malgré les exigences constitutionnelles
canadiennes de consultation avec les Premières Nations peuplant le territoire.
Devant Goliath, la Première Nation Crie de Beaver Lake ne peut rester coite, il
s’agit pour elle non seulement d’un acte illégal, mais d’un crime
environnemental et humain. Elle traine donc le gouvernement fédéral et
provincial (Alberta) devant les tribunaux où ils s’affronteront cette année
(date à déterminer).
« Prenons un
moment pour réfléchir sur ce qui est en train de se produire» nous interpelle
Crystal Lameman au plein cœur de son discours. Les payeurs de taxe canadiens
contribuent à hauteur de 1.38 milliard de dollars aux compagnies pétrolières
par année. Pour le gouvernement fédéral actuel, rien ne semble plus rationnel
et convaincant qu’un simple rappel « patriotique » à la dévotion
économique, et ce, malgré le fait que la Constitution soit écrite noir sur
blanc. Mais, le déséquilibre des forces économiques et politiques est flagrant
et nous laisse perplexe. La communauté scientifique s’entend pour dire que la
plus grande exploitation industrielle au monde (les sables bitumineux
d’Alberta, eh oui) est une catastrophe environnementale, une supercherie
économique, et une atteinte aux droits et liberté d’êtres humains selon la
Constitution canadienne.
Crystal Lameman
s’adressait dimanche à chacun de nous qui peut encore s’émerveiller devant la
grâce de la nature et qui ne peut tolérer qu’un espace quatre fois large comme
l’Île de Montréal soit dévasté par un projet pétrolier qui ne nous rapportera
rien à part un mot digne de changement dont les retombées concrètes ne pourront
jamais être ni respirées, ni bues.
Les Premières Nations du Nord-Ouest canadien
signaient en 1877 un traité de partage des ressources de la Terre Mère, car
selon leur conception de la réalité, une mère ne s’achète pas, ne s’approprie
pas. On ne peut que partager ce qu’elle nous donne.
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Exploitation des sables bitumineux, photo prise par Peter Essik |
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Crystal Lameman & Noam Chomsky en 2013 |